Après onze mois de soins intensifs à la suite d’une tentative d’assassinat à Lubumbashi, le juge Jacques Mbuyi est sorti de l’hôpital début juin. Le magistrat revient sur cette agression et incrimine le régime de Kinshasa. Témoignage.
Il revient de loin. « C’est une résurrection », reconnaît le miraculé, à l’autre bout du fil. Dans la nuit du 18 au 19 juillet 2017, Jacques Mbuyi, 50 ans, a été victime d’une tentative d’assassinat à Lubumbashi, dans le sud de la RDC. Magistrat depuis 23 ans, il devait se pencher le lendemain, et en sa qualité de président de chambre au tribunal de grande instance, sur l’audience en appel d’une affaire opposant un mystérieux ressortissant grec, Emmanouil Stoupis, à Moïse Katumbi. Il en est convaincu : « Lorsqu’on y regarde de près, on se rend vite compte que mon agression est liée à ce dossier. »
Après trois mois dans le coma et près d’une année de soins intensifs, le juge Mbuyi garde toutefois en mémoire les moindres détails de cette nuit cauchemardesque, dont il livre le récit à JA.
« Il était autour de 23 heures et je me trouvais dans ma chambre, avec mon épouse, en train de regarder la télé. J’ai entendu un bruit dehors, et j’ai tiré les rideaux pour voir ce qu’il se passait. J’ai été surpris de constater que ma parcelle était envahie de militaires. Je me suis vite retourné pour avertir ma femme. Mon premier réflexe a été de prendre mon téléphone pour alerter le général [Paulin] Kyungu, le commandant de la police dans la province. Mais il n’a pas répondu. J’ai alors appelé l’avocat général et le président de mon tribunal.
ILS ONT PRIS DES BOUTEILLES ET ME LES ONT CASSÉES SUR LE VISAGE
Dans les minutes qui ont suivi, des militaires ont défoncé la porte et se sont introduits dans la maison. Je suis d’abord allé me cacher dans la salle de bain, mais je me suis vite livré lorsqu’ils sont rentrés dans ma chambre. Trois militaires armés m’ont immédiatement braqué et ont exigé que je leur donne de l’argent. J’ai ouvert mon portefeuille mais il n’y avait que quelque 150 dollars américains. Apeurée, ma femme s’est précipitée pour leur donner sa boîte à bijoux, mais ils l’ont repoussée… Ils ont commencé à me donner des coups de crosse, puis ils m’ont entraîné dans le couloir jusqu’au salon. Ils ont pris des bouteilles dans le bar qui s’y trouve et me les ont cassées sur le visage. »
Touché par cinq balles sur treize tirées
« Ils ont ensuite essayé de me faire sortir du salon. Un membre du groupe, resté derrière, leur a alors donné un ordre en lingala : « Beta moto oyo masasi, azo tosa mokonzi te ! » « Tirez sur ce monsieur, il ne respecte pas l’autorité ». Le temps de dire « pardon », ils avaient déjà ouvert le feu sur moi. Ils tiraient à deux mètres de moi. Je me vois encore dire à mon épouse : « Florence, on m’a tué, garde les enfants. » Puis, je me suis évanoui. »
Cinq balles atteignent le juge à l’abdomen, huit autres échouent dans le mur du salon. Sa femme et ses quatre enfants (une fille de 17 ans et trois garçons) sont malmenés, « très violentés ». Lorsque nous lui demandons si ces violences sont allées jusqu’à des agressions sexuelles, Jacques Mbuyi éprouve subitement du mal à poursuivre son témoignage. Sa voix devient hésitante ; « Retenez juste qu’ils nous ont maltraités chez nous : ils se sont comportés en sauvages, c’était sadique », lâche-t-il seulement.