Au moment où une force régionale doit être déployée pour combattre les groupes armés dans l’Est du pays, les Congolais soupçonnent le Rwanda et l’Ouganda de jouer double jeu.
Le temps des sourires et des étreintes ouvertes semble révolu depuis longtemps. Le 6 juillet, à Luanda, en Angola, Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont à peine croisé les yeux. Les deux chefs d’Etat ont été contraints de prendre une photo ensemble et leur attitude en dit long sur l’ambiance du sommet organisé par le président angolais João Lourenço.
Depuis des mois, Tshisekedi accuse son homologue rwandais de soutenir les rebelles du M23, qui se heurtent à l’armée congolaise depuis novembre 2021. Dans une interview publiée à la veille du sommet de Luanda, le chef de l’Etat congolais a même déclaré qu’il ne pouvait pas exclure d’entrer en guerre avec son voisin. Kagame nie et dénonce la coopération entre l’armée congolaise et le groupe armé Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR).
Scepticisme
Nommé médiateur en raison de son rôle de président de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), Lourenço tente depuis plusieurs semaines de réunir ses deux homologues autour de la même table. Le résultat a finalement été mitigé, comme en témoigne l’absence de communiqué final.
Une feuille de route, qui prévoit, entre autres, la mise en place d’une commission ad hoc, un cessez-le-feu et un retrait du M23 – qui a pris le contrôle de la ville de Bunagana, au Nord-Kivu, non loin de la frontière avec l’Ouganda – a néanmoins été conclu. Cependant, elle aussi a été immédiatement accueillie avec scepticisme par les différentes délégations.
« L’Angola n’a pas essayé d’harmoniser les positions rwandaise et congolaise car, à ce stade, c’est presque impensable. Lourenço a d’abord tenté de résoudre les problèmes en proposant de s’attaquer au dossier du M23, puis aux FDLR », raconte un diplomate qui suit ce dossier. « La route sera longue », estime un proche de Tshisekedi, pour qui « aucun progrès ne sera possible tant que le Rwanda ne reconnaîtra pas son implication ».
Les rebelles « pas concernés »
Le scepticisme des participants était justifié, étant donné que les combats entre l’armée congolaise et les rebelles, qui réclament un dialogue direct avec Kinshasa et se disent « non concernés » par la feuille de route conclue à Luanda, ont repris dès le lendemain. Plus que jamais, le Rwanda et la RDC semblent être dans une impasse. « Ce n’est pas naïf de vouloir négocier. Mais sont-ils sincères ? a demandé Patrick Muyaya, le ministre congolais de la communication, dans la foulée du sommet, avant que Vincent Biruta, le chef de la diplomatie rwandaise, ne mette en garde contre « la désinformation et le populisme, [qui] sabotent l’objectif de paix en RDC ».
Loin d’avoir dissipé le malaise, cette tentative de médiation intervient au moment où Tshisekedi veut établir rapidement une force régionale dans l’est de la RDC. Ce projet est en gestation depuis que ce dernier a rejoint la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC) fin mars et a été mis sur la table lors du dernier sommet des chefs d’Etat des sous-régions le 20 juin. Mais son format fait encore débat. Surtout, le président congolais s’oppose à la participation du Rwanda à ces opérations conjointes, en raison de son soutien présumé au M23.
Bien qu’il ait obtenu gain de cause sur ce point, Tshisekedi risque gros en continuant à faire entendre sa théorie selon laquelle des armées voisines arriveront dans le pays, car une partie de son administration est extrêmement sceptique.
Deuxième devant
Ces dernières semaines, outre le prétendu soutien du Rwanda au M23, l’attitude de l’Ouganda a alimenté les soupçons de l’entourage du chef de l’Etat congolais. Le 15 juin, Christophe Mboso, président de l’Assemblée nationale, a annoncé que le processus de ratification des accords économiques conclus entre le gouvernement et l’Ouganda serait gelé. La raison? Des rumeurs circulaient selon lesquelles Kigali et Kampala avaient formé une alliance après la chute de Bunagana, un carrefour commercial stratégique. Tshisekedi s’est jusqu’à présent abstenu de faire des commentaires similaires. « Nous ne pouvons pas ouvrir un autre front avec l’Ouganda alors que la situation est déjà difficile avec le Rwanda », a déclaré l’un de ses conseillers.
Les opérations conjointes lancées fin novembre 2021 avec l’armée ougandaise pour combattre les Forces démocratiques alliées (ADF) sont l’une des raisons de ce comportement prudent, tant leur issue est pour le moment incertaine. Bien que le porte-parole des Forces Armées de RDC(FARDC) ont déclaré le 27 mars que tous les fiefs des terroristes avaient été détruits, l’impact réel de cette mission reste difficile à mesurer, car aucune analyse indépendante n’a été menée sur le terrain et, surtout, les massacres imputés au groupe ADF ne semblent pas avoir diminué. Selon un récent rapport du Congo Study Group (CSG), l’opération a surtout servi à protéger les projets économiques ougandais dans la région, à commencer par les champs pétrolifères et les infrastructures autour du lac Albert, ainsi que les tronçons routiers que Kampala a prévu de réhabiliter.
Ce bilan mitigé est à mettre en balance avec le coût géopolitique du lancement de cette offensive commune. Négocié dans la plus grande discrétion, il a été ouvertement critiqué par le Rwanda , qui s’estimait injustement exclu de ces discussions. Il a également été considéré comme l’un des facteurs pouvant avoir conduit à une résurgence de l’activité du M23, qui a intensifié ses attaques à partir de début novembre. Le Burundi et le Rwanda sont aussi régulièrement accusés de mener des incursions militaires en territoire congolais.
Dans ces conditions, la perspective de lancer une force conjointe impliquant des armées « régulièrement accusées » de contribuer à l’insécurité à l’Est soulève de nombreuses questions. Le format décidé, celui d’une coalition où chaque armée aurait son propre périmètre d’action, fait craindre que cette force régionale ne serve qu’à résoudre des problèmes de sécurité nationale pour les voisins concernés. De plus, le degré d’investissement des différents participants semble varier. La Tanzanie, par exemple, n’a pas encore précisé si elle avait l’intention d’envoyer des soldats.
Tshisekedi estime que cette force régionale devrait notamment permettre, à un an et demi des élections législatives, d’obtenir des résultats. Après tout, les différentes stratégies mises en place jusqu’à présent – qu’il s’agisse de l’état de siège ou de l’opération Shujaa (« héros, champion » en swahili) menée avec l’Ouganda pour combattre les ADF – n’ont pas donné les résultats escomptés.
Africareport / CONGOACTU