La reine, qui avait accédé au trône en 1952 à l’âge de 25 ans, est morte le 8 septembre à 96 ans. Monarque impassible, vénérée par le peuple britannique, cheffe des armées, gouverneure suprême de l’Eglise anglicane, elle a été l’interlocutrice de quinze premiers ministres britanniques.
C’était en 1991 à Harare, capitale du Zimbabwe, à l’issue d’un sommet du Commonwealth. Quand Elizabeth II a fait son apparition sous la marquise dressée sur la pelouse du Haut-Commissariat britannique, l’invité s’est figé. La souveraine est plus petite qu’on ne l’imagine. Sa poignée de main est molle. Sa voix nasillarde, ses fins de phrase pratiquement inaudibles. Cette femme qui dégage une autorité naturelle toise son interlocuteur d’un sourire à peine esquissé. Le dialogue se limite à deux questions banales. Un court silence s’installe. La reine disparaît. La monarque excelle dans cette double nécessité de paraître à la fois accessible et inaccessible. C’est une vraie reine, comme l’avait déclaré, admiratif, le président Mitterrand.
On avait toujours l’impression d’avoir vu Elizabeth II, morte le 8 septembre, à l’âge de 96 ans, dans un musée de cire, comme chez Madame Tussauds à Londres. C’est que cette page vivante d’histoire avait été l’interlocutrice de quinze premiers ministres britanniques, de quatorze présidents américains, de l’ensemble des chefs d’Etat de la Ve République. N’avait-elle pas eu pour interlocuteurs toutes les personnalités politiques de la planète, de Churchill à de Gaulle en passant par Kennedy et par Nehru ?
C’était en même temps un symbole. Sous son règne, le Royaume-Uni avait connu toutes les joies du succès et les affres de la défaite, démontrant ainsi qu’une nation prise entre un équilibre ancien déjà rompu et un équilibre nouveau qui reste à inventer peut, à travers la monarchie, se refaire.
Courtoise, imperturbable
Monarque la plus photographiée et peinte du globe, Elizabeth II était, de surcroît, un ordinateur vivant. Si elle n’avait pas été reine, murée dans son silence et dans une dignité qui siéent non seulement à un chef d’Etat et d’un Empire, aujourd’hui devenu Commonwealth, mais encore au chef des armées et au gouverneur suprême de l’Eglise anglicane, quelle mémorialiste elle aurait pu être ! On peut toutefois se demander si secrètement cette femme petite, timide, à l’éducation sommaire, n’a pas détesté cette charge sa vie durant.

Peu embarrassée de préoccupations littéraires ou artistiques, Elizabeth II était le prototype même de cette « gentry terrienne » anglaise toute dévouée au culte des animaux. En dehors de ses visites officielles, elle était toujours entourée de ses chers corgis assurés d’un soin particulier. Personne n’avait jamais rien pu lire sur ce visage lourd de secrets qu’elle emporte dans sa tombe.
C’était toujours la même impassibilité dans les situations les plus dramatiques, la même maîtrise devant des événements éprouvants. L’image la montrant seule, sur une stalle de la chapelle du château de Windsor, toute vêtue de noir face au cercueil de son époux le prince Philip, lors des obsèques de ce dernier, le 17 avril 2021, résume son stoïcisme. Courtoise, imperturbable, elle n’avait jamais sourcillé face aux attaques cruelles de la presse tabloïde contre sa famille, en particulier lors de la crise provoquée par la mort de la princesse Diana, dans un accident de la circulation, à Paris, le 31 août 1997. La reine, probablement affectée par la rupture, en 2020, de son petit-fils Harry et de son épouse Meghan Markle avec les Windsor et par les accusations de racisme qu’ils ont portées contre la famille royale – accusations qui épargnaient la souveraine – n’en a rien laissé paraître, tentant seulement, par un communiqué, d’apaiser les tensions. Elle n’a rien exprimé lorsque son fils Andrew a été accusé d’agression sexuelle sur une mineure, mais lui a retiré, en janvier 2022, ses titres militaires et ses parrainages d’associations. Même à ses rares amis, Elizabeth II ne se livrait guère.
Lorsqu’elle naît à Londres, dans l’élégant quartier de Mayfair, le 21 avril 1926, rien ne prédestine Elizabeth Mary Windsor au trône. Elle est le premier enfant du duc et de la duchesse d’York. Le duc est le second fils du roi George V, auquel a succédé tout naturellement, le 20 janvier 1936, le prince de Galles, Edward. Nièce du futur roi, elle est promise à devenir un membre mineur de la famille royale.
Le cheval, la passion de sa vie
Son enfance est idyllique. Mais le 10 décembre 1936, à la suite de l’abdication de son oncle, Edward VIII, son père monte sur le trône sous le nom de George VI. Devenue princesse héritière à 10 ans, Elizabeth se retrouve avec ses parents et sa jeune sœur, Margaret, propulsée, du jour au lendemain, sous les projecteurs de l’actualité.
Très vite, elle fait l’apprentissage des charges qui seront les siennes. Tandis que Margaret se distingue par sa fantaisie, Elizabeth se caractérise par son sérieux et son application. Sa gouvernante, la vicomtesse Marie-Antoinette de Bellaigue, lui enseigne le français. La princesse, alors âgée de 13 ans, prononce son premier discours officiel dans la langue de Molière à l’occasion de la visite d’Etat à Londres du président Lebrun en 1939.
Elizabeth n’a jamais fréquenté aucune école. Des tuteurs privés l’initient également à l’allemand, langue dans laquelle elle a rapidement pu tenir une conversation, mais aussi à l’histoire et aux rudiments des affaires de l’Etat. La princesse apprend à monter à cheval, sport qui restera sa grande passion, de même que les courses et son écurie à ses couleurs. La vie de famille est calme, équilibrée, un peu guindée sous l’effet d’un protocole rigoureux.
Père adoré, George VI est un homme timide, foncièrement bienveillant, mais frappé d’un terrible bégaiement. De plus, il est tourmenté par une charge qu’il n’a ni cherchée ni souhaitée. Lors du déclenchement de la seconde guerre mondiale, en septembre 1939, le roi veut envoyer son épouse et ses deux filles au Canada, comme le suggère Winston Churchill, le premier ministre du Royaume-Uni.
Face au refus de la reine de le quitter, les princesses restent au château de Windsor, en dehors de Londres, plutôt qu’à Buckingham Palace, jugé trop vulnérable. Pour remonter le moral de la nation, « Lilibet », son surnom, princesse héritière, multiplie les apparitions publiques, en uniforme de grenadier de la garde ou en ambulancière alors qu’elle apprend à conduire au camp militaire d’Aldershot. Fin 1944, munie de son permis, Elizabeth, matricule 230873, rejoint l’armée de réserve, comme conductrice de camion. A plusieurs reprises, elle s’adresse à la radio à ses futurs sujets.
Reine à 25 ans
La paix revenue, Elizabeth accompagne ses parents dans leurs voyages, en province comme dans le Commonwealth, et prononce ses premiers discours. Son mariage, le 20 novembre 1947, avec un cousin éloigné, Philip Mountbatten, membre de la famille royale grecque et ancien écuyer du roi, est l’un des premiers reportages télévisés retransmis à travers l’Europe occidentale. De ce mariage d’amour apportant bonheur et équilibre nécessaires à l’exécution des tâches de souveraine naîtront quatre enfants : Charles (1948), Anne (1950), Andrew (1960) et Edward (1964). Ils donneront à Elizabeth et à Philip huit petits-enfants. Mais la santé de son père, atteint d’un cancer, épuisé par la lourdeur de la Couronne, chancelle.